« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu ».
« Elle était au commencement avec Dieu ».
« Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle ».
« En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes ».
Jean 1.1-4
Cloître du couvent Pater Noster à Jérusalem
En préambule, il peut être utile de remarquer que c'est à la page de l'évangile de Jean que la Règle est
ouverte sur l’autel du vénérable maître dans certaines loges maçonniques.
La parole est d’abord un son. Au commencement était le son, et le son était avec Dieu et le son était Dieu... Jamais le son ne se manifeste sans le
souffle.
Le souffle est l’autre de nom de l’âme.
Et parfois l’autre nom de l’esprit. L’esprit souffle où il veut… Le pouvoir créateur de la parole n’a
d’égal que son pouvoir destructeur et/ou son pouvoir régulateur.
Dans nos
sociétés de droit écrit, le pouvoir de la parole semble n’être plus qu’un vain
mot. Le contrat écrit a remplacé la « parole d’homme ». Cela en dit
long sur la déliquescence du pouvoir de la parole dans notre civilisation. Les
effets de cet abandon de la confiance en la parole dans les relations
« d’homme à homme » correspondent, historiquement à la perte de
croyance au pouvoir de la parole divine. [1]
Si l’on remarque que le spirituel
s’inscrit toujours dans la tradition orale, la perte de puissance de la parole
dans l’usage profane ne fait que corroborer la perte de puissance de la
tradition dans nos vies initiatiques. Alors, pourquoi les maçons accordent-ils tant
d’importance à la parole et à l’absence de parole ? Peut-être faut-il
poser la question différemment : pourquoi les maçons accordent-ils autant
d’importance au souffle et à l’absence de souffle ?[2]
Dès son entrée en loge sur le banc du
Septentrion, l’apprenti est surpris du silence qu’on lui enjoint d’observer.
Mais il perçoit rapidement que cette obligation de silence le protège d’une
parole irréfléchie. En rejoignant le banc du Midi, le compagnon a eu le temps
de réfléchir au célèbre adage, « mieux
vaut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». Au moment où il obtient l’usage de la parole en loge, le traditionnel apprentissage
maçonnique lui a laissé le temps de prendre conscience qu’il est, dorénavant, responsable
de toutes les paroles qui vont sortir de sa bouche. [3]
Une autre caractéristique de la parole,
au degré où nous sommes, c’est qu’il importe moins de la comprendre que de la
transmettre dans sa parfaite intégrité[4]. La parole donnée ne sera
jamais une parole perdue si elle tombe dans l’oreille de celui qui sait la
répéter sans la trahir, même s’il ne la comprend pas ! Un jour cette
parole, telle un mot de passe de semestre, passée de bouche à oreille de la
manière la plus fiable possible tombera dans une oreille qui saura la
comprendre.
En revanche la parole est perdue si elle
tombe dans l’oreille de celui qui ne sait pas la répéter. Pour perdre la parole
donnée, il suffit de ne pas la répéter à l’identique, même si on croit l’avoir
comprise. Comprendre ne sert à rien si l’on n’est pas capable de respecter et
d’obéir à la règle. Voilà pourquoi la déstabilisation d’un égrégore commence
par le non respect de la parole sacrée. La parole sacrée du rituel est répétitive
parce qu’elle est chargée de nous reconnecter à l’essentiel. C’est une parole
proche des leitmotive incantatoires des chamanes, des moulins à prière
tibétains, mais aussi de toute prière.
C’est en faisant l’expérience du rituel que l’on peut comprendre le lien entre parole et prière.
Disons que la parole peut expliquer tout
ce qui se manifeste dans notre monde. Mais peut-elle rendre compte de
l’innommable ? Si le tétragramme[5] ne se prononce pas et qu’on ne peut que
l’épeler, c’est parce qu’il veut désigner quelque chose situé dans un au-delà du
monde perceptible.
Si vous avez été élevé dans une tradition
religieuse et même si, aujourd’hui, vous vous sentez très loin de cette
tradition, faite l’expérience suivante : relisez le texte d’une prière de
votre enfance. Le « Notre Père » par exemple. Lisez le en français, puis lisez le en
latin[6], si vous connaissez le
grec, lisez-le en grec.
Un des multiples tableaux reprenant le Notre Père dans toutes les langues du monde sur les mur du couvent à Jérusalem
Entre la version en français,
immédiatement perceptible par votre intellect et la version latine qui vous oblige
à une écoute de la litanie presque chantée, le « vécu » de ce mantra
n’est pas le même. Comme les derviches tourneurs répétez la prière jusqu’à vous
saouler. Il se produit alors, parfois ce qu’on peut appeler des « ruptures de faisceaux » ce
que d’autres ont nommés des états
modifiés de conscience. Faites l’expérience et revenez nous la raconter, si
le Ciel, en vous, l’autorise.
Certaines paroles ont des résonnances qui
peuvent provoquer une liaison directe avec le transcendant. Dans cette
expérience, chaque sens est sollicité pour offrir une porte d’accès au divin. A
chacun de nous de savoir, de pouvoir et de vouloir tenter l’expérience[7].
« Que
la Parole de Vérité, inscrite dans ce Livre clos, demeure toujours gravée dans
nos cœurs. »
[1] La
perte de la croyance en la possibilité d’une relation « de l’homme à
Dieu » a débuté avec le « siècle des Lumières » et a connu son
apogée avec Nietzsche qui a remarquablement expliqué pourquoi « nous avons
tué Dieu ». Parallèlement à cette tendance, les dernières
organisations sociales fondées sur l’oralité ont basculées dans l’organisation
écrite. L’abandon des voies traditionnelles pour des modes de vie
sophistiquées, nous a fait opter pour des organisations profanes entièrement
dominées par l’écrit.
[2] On peut
réfléchir, par exemple au fait que dans le Temple, jamais un maçon ne soufflera
une bougie. On ne souffle pas sur une flamme, on la mouche. Si la flamme est la
vie, le souffle de vie ne peut éteindre la flamme.
[3]La
nature du pouvoir de la projection du son dans l’atmosphère est liée à
l’intentionnalité de celui qui la projette. Parler c’est projeter une parole
dans l’univers et l’univers ne pardonne jamais une parole déplacée. Le son
revient toujours vers celui qui le projette soit par circularité soit par
écho...
[4] C’est pourquoi la possession de
rituels et de patentes « originels » est si importante pour une
obédience. Toute modification des rituels engage la responsabilité de celui qui
en prend l’initiative.
[5] Yod Hé Vav Hé ou en hébreu י ה ו ה
Le tétragramme épelé
d’une manière incantatoire produit un champ d’ondes vibratoires. C’est la base
des magies incantatoires chamanique, kabbaliste ou gnostique (voir le renouveau
charismatique) comme des mantra hindous ou bouddhistes.
[6] «Notre Père qui êtes aux
cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive. Que votre volonté
soit faite sur la terre comme dans le ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain supersubstantiel
. Et remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. Et ne
nous induisez pas en tentation mais délivrez-nous du mal. Car à vous
appartiennent le règne, la puissance et
la gloire dans les siècles des siècles. Amen.» (Notre Père cathare).
«Pater
noster qui es in celis, sanctificetur nomen tuum ; adveniat regnum tuum. Fiat
voluntas tua sicut in celo et in terra. Panem nostrum supersubstancialem da
nobis hodie. Et dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus
nostris. Et ne nos inducas in temptationem sed libera nos a malo. Quoniam tuum
est regnum et virtus et gloria in secula. Amen.»
[7] La
plupart ne savent pas, ne peuvent ni ne veulent connaître l’expérience.
Quelques uns savent et ne peuvent pas. Un petit nombre sait mais ne veut pas.
Un nombre infime peut et veut tenter l’expérience.
Salut ami dOutre-Atlantique, et un beau bonjour du Québec. C’est tout à fait par hasard (si le hasard existe) au gré de mon exploration des blogs que j’ai atterri ici.
RépondreSupprimerDès le départ, le titre du blog m’a interpelé car pour moi aussi la matière est spirituelle et l’esprit est matériel. En fait, c’est le monde qui compte, pas se demander s’il est matériel ou spirituel. Et continue: on a besoin de blogs comme ça.
NOTE. Mon blog parle de la connaissance de soi. Si le coeur t'en dit, tu es bienvenu.
JG
Bonjour Jigé,
SupprimerRavie de ta visite. Québec héberge depuis 12 ans ma filleule qui est devenue canadienne, cela me fait plaisir d'apprendre que ce blog est lu au Canada. J'ai fait une visite à ton blog. Je l'ai mis dans ma liste de blogs préférés car, tu as raison de dire qu'il faut multiplier les occasions de montrer qu'il existe dans ce monde des gens pour se préoccuper d'autre chose que du monde physique, matériel et, dit "réel".
La vie intérieure existe même si ceux qui la connaissent le mieux sont silencieux, immobiles et "alignés"....
Je t'embrasse fraternellement. Bien à toi :=)
Tiens, je découvre ici aussi le pater noster...une prière que je redécouvre et qui m'apprend le Sens de la Parole!
RépondreSupprimerMerci Kimé! :)
Bonjour Nout,
SupprimerBelle expérience que cette redécouverte, n'est-ce pas ?
Jamais je n'aurais imaginé la vivre. Et pourtant, il a fallu peu de chose, un hasard ou une providence (?), pour me remettre ce texte en tête. Je souhaite cette expérience semblable à tous ceux qui cherchent.
Ton message me rappelle une autre expérience, vécue il y a deux ans, au Vietnam en compagnie d'un vieux bonze. Je vais essayer d'écrire ce qu'elle m'a appris du... silence.
Amitiés.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerLa parole est un instrument de communication. Dans les aventures de Gulliver, un Houyhnhnm est surpris de lui entendre dire que certains hommes mentent. Il ne comprend pas comment on peut dire ce qui n'est pas alors que le langage est une façon de communiquer entre nous. Les humains trop souvent s'expriment de façon irréfléchie, parlent pour parler, nous le faisons tous à des degrés divers. Mais il est important de se pencher sur l'importance que peuvent avoir les mots, et ce qu'ils peuvent apporter aux autres quand ils sont bien pesés et que le langage est vivant (contraire de la langue de bois). Comme tout ce que les humains utilisent dans leurs rapports envers les autres et même vis à vis d'eux mêmes (je pense à l'écriture de son journal par exemple), la parole peut être inutile, inefficace et même nuisible. Mais elle peut être une source de connaissance et de transmission extraordinaire. A nous d'en faire un bel instrument, qui sonne juste et apporte un plus à l'harmonie de l'ensemble de la société.
RépondreSupprimerAmitiés du Québec,
Michelle
Après un premier québécois, Bienvenue à la première québécoise sur ce blog !
SupprimerMerci Michelle pour tes interventions qui enrichissent nos réflexions communes.