mercredi 12 février 2014

ORDRE et OBÉDIENCE



L’ordre est le plaisir de la raison, 
le désordre est le délice de l’imagination.
Paul Claudel
« Ordo ab chao » disent les alchimistes… L’ordre nait du chaos ! Que le chaos nous apparaisse comme la représentation du désordre est assez facile à imaginer. Mais que l’ordre puisse naitre du chaos est plus difficile à comprendre. Disons que le chaos est un ordre qui nous dépasse. Un « ordre » inconcevable, impossible à appréhender par l’être humain.
L’« ordre » auquel l’Humain peut faire référence n’est qu’un ensemble de règles liées, unies, qu'il qualifie de droites et qu’il perçoit comme vraies. Entrer dans un ordre (sacré ou profane) c’est se référer à un ensemble de règles et accepter pour cela, de leur jurer obéissance
Les francs-maçons appartiennent à ce qu'ils nomment "des obédiences" qui possèdent des règles et auxquelles chaque membre jure d’obéir alors que, paradoxalement, chacun dans son serment d’initiation a promis de rester libre... Comment peut-on jurer de « rester libre » et accepter d’obéir à un Ordre ?  La franc maçonnerie conduirait-elle à la schizophrénie ?
Les choses seront peut être plus claires si je dis que le devoir de l’Homme n’est pas de se plier aux règles : le devoir de l’Homme c’est d’être la Règle... Ce n’est pas si compliqué à comprendre, à condition de prendre conscience de trois évidences :
  1. obéir est nécessaire à l’établissement d’un ordre humain.
  2. Ce que l’humain appelle « ordre » vire toujours au chaos.
  3. S’initier c’est accepter de descendre en Enfer. Il faut donc descendre dans l’abîme du chaos pour pouvoir remonter vers notre propre lumière. [1] Chacun ne pouvant le faire qu'à son rythme.
Entrer dans l’ordre d’une « Obédience ».
L’époque post-moderne n’est propice ni à l’ordre, ni à l’obéissance. Sans cesse autour de nous, des injonctions à la désobéissance nous assaillent. Les slogans de mai 68 résonnent dans nos têtes. 1968 comme toute révolution, inverse les données : « il est interdit d’interdire », « sous les pavés la plage ».[2]
Nous parlons d'ordre alors que le désordre nous entoure : désordre social, désordre psychologique, désordre politique, mais aussi désordre spirituel…. Rien n’y échappe. Dans nos maisons, nous nous évertuons à « mettre de l’ordre » et sans cesse nous voyons à l’œuvre le « désordre » naturel des choses reprendre le contrôle. C’est ce qu’on peut convenir d’appeler un « cycle universel » à laquelle toute « Obédience[3]», comme tout corps humain, n’échappe pas. Ordre et désordre produisent le mouvement et donc… la vie.
Les rites maçonniques enjoignent chaque Maçon d’ériger le Temple dans l’Ordre mais leurs organisations elles-mêmes n’échappent pas à cette alternance d’ordre et de désordre. Sans doute est-il illusoire sur cette Terre d’imaginer construire le Temple de l’Ordre[4]… sans doute est-il seulement possible de tenter de le construire dans l’ordre...
Les tentatives historiques de mise en ordre du monde se sont toujours soldées par le plus grand désordre : dans le langage moderne cela se nomme totalitarismes, dictatures, sectes et gouroutisme … Au plein cœur de la Révolution Française, la Franc-maçonnerie invente la formule magnifique de « Liberté, Égalité, Fraternité ». Idéal superbe qui s’effondrera douloureusement avec le glissement dans… la « Terreur ».
Si nous remettons la recherche initiatique au centre de l’ordre que nous recherchons, la question d’ un « Ordre » obédientiel prend une autre dimension.
Qu’est-ce qu’un Ordre initiatique ? Pourquoi obéir à un Ordre initiatique ?
Au cours de son histoire, nous ne surprenons jamais la Franc-maçonnerie universelle dans un quelconque acte de « désobéissance » à l’ordre civil. Arriver à construire l’ordre civil (nommée concorde civile) est même l’ambition affichée des Maçons qui ont fait 1789. Avaient-ils prévu 1793 ? Je ne le pense pas, certains l’ont payé de leur vie. 
S’ils étaient universellement appliqués, les principes maçonniques conduiraient à l’unité, non seulement des Maçons mais de tous les hommes. Le chemin initiatique des Frères révolutionnaires concerne surtout la vie exotérique. Depuis Jaurès, ils croient au progrès : ce sont de grands spécialistes de l’ordre social, c'est-à-dire de l’ordre extérieur. Dans l’histoire de France, nombreux sont les exemples réussis de leur influence bénéfique.
Nous partageons leur fierté. Cependant, nous Maçons de la vieille Egypte,  nous travaillons à l’Ordre spirituel des Mondes au nom du Grand Architecte... Qu’est-ce que cela veut dire ? A quelle règle obéissons-nous ?  Notre initiation concerne notre vie ésotérique. Nous cherchons à éveiller notre conscience individuelle pour travailler à notre ordre intérieur[5]. Un ordre qui dans la solitude du travail, dans l’égrégore de la loge, dans la communion des agapes aligne et centre intérieurement le Maçon qui s’y adonne…
Cet Ordre initiatique complète l’ordre profane. En s’opposant à lui, il le complète. Si nous cherchons à être « initié » ce n’est certes pas pour nous abstraire du monde profane... Nous travaillons à mieux nous comprendre pour nous aider à mieux le comprendre. Pour nous la meilleure façon de travailler à l’ordre du monde c’est d’équilibrer notre ordre intérieur. En d’autre terme, l’équilibre du macrocosme dépend de l’équilibre du microcosme. Si les microcosmes sont en équilibre, celui du macrocosme en découlera. L’inverse nous parait illusoire.  
C’est après avoir constaté que ce que nous appelons l’ordre dans le monde est une illusion que nous ressentons le besoin d’être initié à « autre chose » qu’à « l’ordre » profane. Voilà pourquoi tout ordre initiatique fait réfléchir à l’ordre naturel des choses. C’est ainsi que l’écologie peut apparaître comme une science initiatique : en étudiant l’équilibre naturel des écosystèmes, elle nous ramène à l’ordre immémorial de la vie. Un franc-maçon n’a pas d’étonnement à constater l’engouement que cette « nouvelle science » provoque dans le public. 
La véritable initiation est un retour irréversible aux règles de l’univers.
Cet volonté de retour à l’ordre «  sacré », chacun de nous l’a décrit avec ses mots dans les motivations de sa lettre de candidature. Si nos motivations ont su convaincre les Maîtres de nous ouvrir la porte c’est bien parce qu’ils étaient d’accord avec le moteur qui en nous, nous a conduit à demander l'entrée du Temple d’Hermès. Souvenons-nous de notre passage dans le cabinet de réflexions, les phrases qui y sont inscrites nous rappellent constamment la vérité qui est à l’œuvre, ce jour là et pour des siècles et des siècles, tout au long de notre cheminement.
Pour nous, Maçons d’une obédience hermétique, qui vivons dans un rapport particulier à l’Esprit, nous savons qu’Il souffle où il veut, quand il veut. Cette réalité que nous vivons comme une évidence nous apporte un grand recul dans l’examen de l’ordre chaotique qui est à l’oeuvre dans le monde profane. C’est pourquoi, nous sommes persuadés que cette franc-maçonnerie dite "hermétique" est plus que jamais adaptée au monde de demain.
Sans renier la matière, la franc-maçonnerie spiritualiste obéit (elle se soumet[6]) à l’Esprit. Pour cette Maçonnerie, c’est par sa conscience que l’homme est relié au divin et c’est bien sur cette conscience que ces Maçons ambitionnent de travailler. Car, armé de toute sa conscience, l’Homme peut agir sur lui-même. Par cette maîtrise acquise sur lui-même, il agit consciemment sur son environnement : hommes, choses et bêtes. En étant présent à lui-même, il peut être présent aux autres.
Un Maçon spiritualiste pense à travailler sa propre pierre avant de prétendre aider à construire le Temple de son voisin. En d’autres termes avant de voir la paille qui obscurcit l’œil de son voisin, le maçon d’Egypte prend à cœur d’enlever la poutre qui aveugle son regard. Ainsi peut-on comprendre que travailler à la construction de l’ordre du Temple c’est s’éduquer[7].
Donner une forme est la première règle à respecter pour ériger le Temple[8]. Mais cette forme sans cesse doit être mise sur le métier. Jusqu’à l’initiation finale, le Maçon travaille sa pierre. C’est ainsi que mourir et renaître se vivent à l’infini.
La Maçonnerie spiritualiste travaille en particulier au développement de l’intuition. L’intuition est un outil qui permet d’approcher ce qui, en nous, n’est pas uniquement du domaine de la forme. Ce qui en nous n’est pas la forme se situe à deux endroits opposés et complémentaires : le cœur et l’esprit. Autrement dit : l’esprit vit entre intuition et raison.
Remarquons que la franc-maçonnerie spiritualiste médite sur le symbolisme du triangle, entre autre celui que forment le corps, le cœur[9] et l’esprit. C’est au centre de ce triangle que l’Homme renoue avec ce qui, en lui, dépasse la condition d’homme, la condition du vivant qui doit mourir : je pense ici à  l’éternité, l’infini, la perfection, l’immobilité : tout ce qui est du domaine de celui à qui seul appartiennent la puissance et la gloire…
Corps
Fils
Horus
Brahma
Création
Tempéré
Terre
Sagesse
Entre les colonnes
Equilibre (Mâat)



 
 


 Esprit                                                                                 Cœur (âme)
Père                                                                                   St Esprit
Osiris                                                                                Isis
    Vishnou                                                                            Shiva 
                                                                                           (le bon, celui qui porte bonheur)
Protection                                                                          Destruction
Chaud                                                                               Froid
Soleil                                                                                 Lune
Force                                                                                 Beauté
Jakin                                                                                 Boaz
Ordre                                                                                 Désordre



Bien au centre de la Cité, la Franc-maçonnerie spiritualiste trouve judicieux de rester attentive aux phénomènes qui nous entourent et nous relient au monde « d’en-haut ». Au plein coeur de l’horizontalité, il y a une joie particulière à être relié à la verticalité. C’est ainsi que nous comprenons le symbolisme de la croix.                                              

                  Dans cette recherche de l’équilibre parfait, la franc-maçonnerie spiritualiste est en accord avec la quête de l’homme perdu dans le monde des formes du XXI°s. Ainsi notre recherche dite « initiatique » peut s’exprimer ainsi :
Ne rien construire sur la croyance superstitieuse, 
Tout passer à la magie du crible de l’Esprit.

Aussi désuète que puisse paraître cette recherche, 
elle reste au centre du travail sur la conscience humaine.
                       


[1] Ici, je ne peux m’empêcher de penser à cette obscure phrase de l’Évangile de Jean : « lumière du monde, tombée dans les ténèbres qui ne l’ont point reçue ». Qu'est-ce que l'ombre et... d'où vient la lumière ?

[2] Il y aurait une étude intéressante à faire sur la signification de ces « nouveaux principes » apparus au cours de la dernière « révolution » que la France ait connu. Et... sur les mécanismes étrangement semblables de toute révolution. Mais tel n'est pas notre propos.
[3] Etymologie du mot « obédience : Emprunté au latin oboedientia (« obéissance »). Nom commun. obédience /ɔ.be.djɑ̃s/ féminin. Source des définitions : http://fr.wiktionary.org/

[4] Cf : Une méditation avec René Schwaller de Lubicz  qui a écrit successivement « Le Temple dans l’Homme » et « Le Temple de L’Homme », nous apprendra la différence. Même pour l’antique civilisation égyptienne cette tentative a finalement sombré dans le chaos. Sans doute conscients de la finitude de leur monde, ils nous ont laissé les trace de leurs travaux dans l’ésotérisme de leurs œuvres monumentales.
[5] Il est intéressant de noter que ce que les musulmans appellent « Grand Djihad » correspond à ce travail intérieur d’ordre ésotérique, et « Petit Djihad » renvoit au travail social et politique d’ordre exotérique.
[6] De même, on remarque que parmi toutes les traductions du mot « Coran », l’une des plus usitées reste « Soumission ».

[7] Emprunté au latin ēdŭcāre = qui signifie « former », il est composé de dūcĕre (« conduire », « mener ») avec le préfixe ex- (« en dehors ») se qui donne « faire sortir », « mettre dehors ». Eduquer c’est littéralement : « conduire au dehors » « donner une forme ».
[8] L’appréciation la plus destructrice que l’on puisse faire d’une œuvre d’art est de dire : c’est informe. Si l’Art est la matérialisation de pouvoir créatif de l’Homme, dénier toute forme à une œuvre d’Art tend à la rendre à sa matière initiale : le chaos. C’est par ce détour inattendu que l’Art moderne nous renvoi à notre expérience de la spiritualité : quand l’esprit n’a plus de forme comment pouvons-nous nous identifier à lui ? Lorsque l’Homme ne s’identifie plus à l’Esprit, l’Esprit n’existe plus pour lui. Nietzsche a exprimé cela par une phrase lapidaire : « Dieu est mort ». Il faisait le constat de la déliquescence de l’idée de Dieu comme référence anthropomorphique. Un monde mourrait, un nouveau siècle s’ouvrait au même moment, à l’abstraction. L’Art moderne nous ramène à une vérité camouflée par des siècles de « civilisation » : le principe créateur n’a pas besoin de s’identifier à une forme humaine pour exister. Ce principe existe en l’Homme bien avant de se matérialiser dans une forme. Les artistes comprendront.
[9] Autrement dit l’âme.

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