vendredi 30 novembre 2012

Ordre, Contre-ordre, Désordre... Pourquoi choisir d'obéir à un ordre ?


L’ordre est le plaisir de la raison, 
le désordre est le délice de l’imagination.
Paul Claudel


L'ordre naît du chaos :
« Ordo ab chao » disent les alchimistes… Autrement dit l’ordre naît du chaos ! Que le chaos nous apparaisse comme la représentation du désordre est assez facile à imaginer. Mais que l’ordre naisse du chaos est plus difficile à comprendre. Il nous faut entrebâiller le voile pour qu'enfin, le chaos nous apparaisse comme un ordre qui nous dépasse. 
Un « ordre » impossible à appréhender pour l’Homme.


L’« ordre » auquel l’Humain peut faire référence n’est qu’un ensemble de règles liées, unies, droites qu’il perçoit comme vraies. Entrer dans un ordre (sacré ou profane) c’est se référer à un ensemble de règles et accepter de leur devoir obéissance. 

Les Francs-Maçons appartiennent à ce qu'ils nomment "des Obédiences" qui possèdent leurs règles, auxquelles chaque membre jure d’obéir, alors que paradoxalement chacun promet de rester libre... Comment peut-on jurer de « rester libre » et accepter d’obéir à un Ordre ?  La Franc Maçonnerie conduirait-elle à la schizophrénie ?

La difficulté pour passer ce cap, c'est de comprendre que le devoir de l’Homme n’est pas de se plier aux règles : l’Homme doit être La Règle.
Ce n’est pas si compliqué, si nous réalisons trois évidences :

  1. Obéir est nécessaire à l’établissement d’un ordre humain.
  2. Ce que l’humain appelle « ordre » vire toujours au chaos.
  3. S’initier c’est accepter de mourir pour descendre en Enfer. Il faut descendre dans l’abîme du chaos pour pouvoir remonter vers notre propre lumière. [1]
L’époque post-moderne n’est propice ni à l’ordre, ni à l’obéissance. Sans cesse autour de nous, des injonctions à la désobéissance nous assaillent. Les slogans de mai 68 résonnent encore dans nos têtes. 1968 comme toutes les révolutions a inversé les données : « il est interdit d’interdire », « sous les pavés la plage ».[2]

Nous parlons d'ordre alors que le désordre nous entoure : désordre social, désordre psychologique, désordre politique, mais aussi sans doute, désordre spirituel…. Rien n’y échappe. Évertuons-nous à « mettre de l’ordre » et sans cesse nous voyons à l’œuvre le « désordre » naturel des choses reprendre le contrôle. C’est ce qu’on peut convenir d’appeler un « cycle universel » à laquelle toute « Obédience[3]», comme tout corps humain, n’échappe pas. Ordre et désordre produisent le mouvement et donc… la vie.


Mais aussi, le chaos peut naître de l'ordre... :
Les rites maçonniques enjoignent chaque Maçon d’ériger le Temple dans l’Ordre poutant leurs Obédiences n’échappent pas à cette alternance d’ordre et de désordre.
Sans doute parce qu'il est illusoire sur cette Terre d’imaginer construire le Temple de l’Ordre[4]

Historiquement les tentatives de mise en ordre se sont toujours soldées par le plus grand désordre : dans le langage moderne cela se nomme totalitarisme de gauche, dictature de droite, sectes religieuses ou gouroutisme pour ceux qui échappent à la politique…

La primauté de la  "clause de conscience" sur le "devoir d’obéissance  en est une conséquence. Une secte fera toujours primer le devoir d'obéissance sur la clause de conscience. Ceux qui sont "libres et de bonnes moeurs" feront toujours primer la clause de conscience. Prenons garde cependant à ne pas l'exercer à tord et à travers...

Au plein cœur de la Révolution Française, les Franc-maçons révolutionnaires inventent la formule de «Liberté, Egalité, Fraternité ». Idéal magnifique qui s’effondrera douloureusement avec le glissement dans… la « Terreur ». Schizophrénie…, encore ?

Même si l'on peut obéir par amour, "obéir" est un acte de raison. Obéir à un Ordre est un acte éminemment rationnel. Il ne s'agit pas d'aimer, il s'agit d'adhérer.

C'est la question de l'Initiation qui permet aux Maçons spiritualistes de se rassembler dans leur « Obédience ». Dès que l'initiatique s'éloigne, les conflits émergent. Cela peut expliquer l'histoire particulièrement chaotique des Obédiences spiritualistes.


Qu’est-ce qu’un Ordre initiatique ? Pourquoi obéir à un Obédience dite "initiatique" ?

Au cours de son histoire, nous ne surprenons jamais la Franc-maçonnerie universelle dans un quelconque acte de « désobéissance » à l’Ordre civil. Arriver à construire l’Ordre civil est même l’ambition affichée des Maçons qui travaillent à l’organisation de la société. 

Ils sont fiers de travailler à défendre des principes moraux qui conduiraient à la concorde civile s’ils étaient universellement appliqués. Le chemin initiatique de ces Frères concerne la vie exotérique : ce sont de grands spécialistes de l’ordre social, de l’ordre extérieur. Dans l’histoire de France, nombreux sont les exemples réussis de leur influence bénéfique.

Nous partageons leur fierté mais nous, Maçons de la vieille Egypte,  qui travaillons à l’Ordre spirituel des Mondes au nom du Grand Architecte, à quelle règle obéissons-nous ?  Notre initiation concerne notre vie ésotérique : c’est à-dire que nous recherchons la conscience maximale pour travailler à notre ordre intérieur[5]. Cet ordre qui dans notre solitude, nous aligne et nous centre…


S'initier c'est apprendre à mourir :
L’Ordre initiatique complète le plus souvent l’Ordre profane et cela, même s’il s’oppose à lui. D’ailleurs si nous cherchons à nous « initier » ce n’est pas pour nous abstraire du monde profane. C’est pour nous aider à mieux comprendre, à mieux nous comprendre. Consciemment ou non, nous percevons que cet Ordre ésotérique n’émerge pas naturellement dans la vie profane et c’est pourquoi nous ressentons le besoin d’être initié à « autre chose » qu’à l’ordre profane.


Comprendre l'ordre des cycles, comprendre cet ordre qualifié de « sacré » : chaque futur Maçon est appelé a l'exprimer dans les motivations de sa lettre de candidature. Si ces motivations arrivent à convaincre les Maîtres de leur ouvrir la porte du Temple d'Hermès, c’est bien parce qu’ils ont perçus le début d'un processus de germination dans le cerveau du futur initié.


Lorsque ce processus d'éclosion s'endort en nous, ressouvenons-nous de notre passage dans le cabinet de réflexions. Les phrases qui y sont inscrites nous rappellent constamment la vérité qui est à l’œuvre, ce jour là et pour des siècles et des siècles, tout au long de notre cheminement.


Pour nous, Maçons d’une Obédience hermétique, qui vivons dans un rapport particulier à l’Esprit, nous savons qu’Il souffle où il veut, quand il veut. Cette réalité que nous vivons comme une évidence nous apporte du recul dans l’examen du chaos à l’oeuvre dans le monde profane. C’est pourquoi, nous sommes persuadés que cette franc-maçonnerie dite "hermétique" est plus que jamais adaptée au monde de demain.


Sans renier la matière, la Franc-maçonnerie du trois fois "Grand" Hermès obéit (elle se soumet[6]) à l’Esprit :

Illustration extraite du site "Su-Asti-Gil"
C’est par sa conscience que l’homme est relié au divin et c’est bien sur cette conscience que les Maçons hermétistes ambitionnent de travailler. Car, ils ont expérimenté le fait  qu'armé de toute sa conscience, l’Homme peut agir sur lui-même. Par cette maîtrise acquise, l'Homme peut agir consciemment sur son environnement : humains, choses et bêtes. En étant présent à lui-même, il peut être présent aux autres.

Un Maçon spiritualiste pense à travailler sa propre pierre avant de prétendre aider à construire le Temple de son voisin. En d’autres termes avant de voir la paille qui obscurci l’œil de son voisin, le maçon d’Egypte prend à cœur d’enlever la poutre qui aveugle son regard. Ainsi peut-on comprendre que travailler à la construction du Temple c’est s’éduquer[7].


Donner une forme est la première règle à respecter pour ériger le Temple[8]. Mais cette forme, sans cesse, doit être mise sur le métier. Jusqu’à l’initiation finale, le Maçon travaille sa pierre. C’est ainsi que mourir et renaître se vivent à l’infini.

La Maçonnerie hermétiste travaille en particulier au développement de l’intuition. L’intuition est un outil d’abstraction qui permet à l’Homme d’approcher ce qui, en lui, n’est pas uniquement du domaine de la forme. Ce qui en lui n’est pas la forme se situe à deux endroits opposés et complémentaires : le cœur et l’esprit. Autrement dit : l’intuition et la raison.


Nous conclurons en faisant remarquer que la franc-maçonnerie spiritualiste réfléchit au triangle que forment le corps, le cœur[9] et l’esprit. C’est au centre de ce triangle que l’Homme renoue avec ce qui, en lui, dépasse sa condition d’homme, sa condition de vivant qui doit mourir. Je pense ici à  l’éternité, l’infini, la perfection, la mort, en un mot tout ce qui est du domaine de la « divinité » à qui seul appartiennent la puissance et la gloire…


Bien au centre de la Cité, la Franc-maçonnerie hermétiste trouve judicieux de rester attentifs aux phénomènes qui nous relient au monde « d’en-haut ». En plein centre de l’horizontalité, il y a une extase particulière à être relié à la verticalité. C’est ainsi que nous comprenons le symbolisme de la croix.

Dans cette recherche de l’équilibre parfait, la franc-maçonnerie spiritualiste est en accord avec la quête de l’Homme perdu dans le monde des formes matérielles du XXIe siècle. Ainsi notre recherche dite « initiatique » peut s’exprimer ainsi :


Ne Rien construire sur la croyance superstitieuse, 
Tout passer à la Magie du crible de l’Esprit.



[1] Ici, je ne peux m’empêcher de penser à cette obscure phrase de l’Évangile de Jean : « lumière du monde, tombée dans les ténèbres qui ne l’ont point reçue ». Qu'est-ce que l'ombre et... d'où vient la lumière ? De la même manière, il me revient en tête les études sur la psychanalyse des profondeurs menées par C.G.Jung.

[2] Il y aurait une étude intéressante à faire sur la signification de ces « nouveaux principes » apparus au cours de la dernière « révolution » que la France ait connu. Et... sur les mécanismes étrangement semblables de toute révolution. Mais tel n'est pas notre propos de ce jour.

[3]  Étymologie du mot « obédience : Emprunté au latin oboedientia (« obéissance »). Nom commun. obédience /ɔ.be.djɑ̃s/ féminin. Source des définitions : http://fr.wiktionary.org/

[4] Cf : Une méditation avec René Schwaller de Lubicz  qui a écrit successivement « Le Temple dans l’Homme » et « Le Temple de L’Homme », nous apprendra la différence. Même pour l’antique civilisation égyptienne cette tentative a finalement sombré dans le chaos. Sans doute conscients de la finitude de leur monde, ils nous ont laissé les traces de leurs travaux dans l’hermétisme de leurs œuvres monumentales.

[5] Il est intéressant de noter que ce que les musulmans appellent « Grand Djihad » correspond à ce travail intérieur d’ordre ésotérique, et « Petit Djihad » renvoie au travail social et politique d’ordre exotérique.

[6] De même, on remarque que parmi toutes les traductions du mot « Coran », l’une des plus usitées reste « Soumission ».

[7] Emprunté au latin ēdŭcāre = qui signifie « former », il est composé de dūcĕre (« conduire », « mener ») avec le préfixe ex- (« en dehors ») se qui donne « faire sortir », « mettre dehors ». Eduquer c’est littéralement : « conduire au dehors » « donner une forme ».

[8] L’appréciation la plus destructrice que l’on puisse faire d’une œuvre d’art est de dire : c’est informe. Si l’Art est la matérialisation de pouvoir créatif de l’Homme, dénier toute forme à une œuvre d’Art tend à la rendre à sa matière initiale : le chaos. C’est par ce détour inattendu que l’Art moderne nous renvoi à notre expérience de la spiritualité : quand l’esprit n’a plus de forme comment pouvons-nous nous identifier à lui ? Lorsque l’Homme ne s’identifie plus à l’Esprit, l’Esprit n’existe plus pour lui.

Nietzsche a exprimé cela par une phrase lapidaire : « Dieu est mort ». Il faisait le constat de la déliquescence de l’idée de Dieu comme référence anthropomorphique. Un monde mourrait, un nouveau siècle s’ouvrait. Au même moment, à l’abstraction.
L’Art moderne nous ramène à une vérité camouflée par des siècles de « civilisation » : le principe créateur n’a pas besoin de s’identifier à une forme humaine pour exister. Ce principe existe en l’Homme bien avant de se matérialiser dans une forme. Les artistes comprendront.


[9] Autrement dit l’âme.

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