vendredi 23 août 2013

La verticale de la Croix et le symbolisme de l'épée flamboyante.


« Si tu veux arriver où tu ne sais pas, il te faut passer par où tu ne sais pas »
Jean de la Croix

« Regarde le soleil, l’ombre sera derrière toi ».Proverbe maori



La symbolique est un des rares accès possibles à l’inconscient. La symbolique est un langage inconscient que le conscient accepte de « laisser passer». Ce langage fonctionne parce qu’il rassure : aussi irrationnel soit-il, c’est un vecteur qui relie l'inconscient au mental. Contrairement aux rêves et à d’autres vecteurs, il est une passerelle avec l’inconscient qui n’oblige pas l’intellect à se déconnecter.


L'occidental croit presque jusqu’à la déraison que sa raison est sa seule richesse parce qu'il sent qu’il lui serait facile de glisser dans l’inconscience, l’irraisonné, ou l’irrationnel. Je pense ici à l’expérience malheureuse que Nietzsche traversa à la fin de sa vie. Dans la recherche de son dieu intérieur, l’être humain n’a qu’un allié : sa conscience. Comme le rappelle certains textes anciens : « C’est par sa conscience que l’homme est relié au divin ».Trouver les outils adaptés à la connexion au Soi fait partie de la préparation minimale du Moi avant de partir faire ce long voyage qui l’entrainera dans les ténèbres de l’inconscient. Il peut "l’essentialiser" sans la déconnecter de sa nature car c’est la matérialisation de l’esprit qui permet au transcendant de se manifester. 

De même la Matière visitée par l’Esprit ne doit pas renoncer à sa substance. Il s’agit bien d’un devoir et non d’un pouvoir. Devoir qui, s’il est transgressé, ne conduit pas à l’harmonie mais bien à son contraire : au chaos et à la folie. Je m’oblige à cette longue digression pour dire que si j’aspire à sortir d’une réflexion matérialiste qui m’a jadis amené jusqu’à l’athéisme, jamais je n’ai souhaité me départir de l’esprit d’expérimentation scientifique. C’est dans cet esprit que j’ai souhaité approcher le symbolisme de l’épée flamboyante. 

On peut le résumer ainsi : L’Esprit descendu dans la Matière doit la spiritualiser sans la priver de sa substance. 


Remarquons tout d’abord que cette épée est le symbole du pouvoir spirituel et cette épée à la lame ondulante est dite "flamboyante" en référence à l'épée à lame de feu, attribut du chérubin qui protège l'entrée du Paradis. Le Maître de loge l’utilise lors des initiations, passages ou élévations. Dans ce cas le pouvoir de l’épée pour « créer un initié» est accompagné du maillet[1]. Cela peut se lire ainsi : le pouvoir de créer ne peut se manifester sans la volonté de créer. En d’autres termes la volonté ne peut se manifester que si elle en obtient le pouvoir et vice versa. Lors de chaque tenue, avant d’ouvrir les travaux, il la tient verticalement dans sa main gauche matérialisant ainsi l’axe de la terre vers le ciel[2]. Comme un éclair entre le Ciel et la Terre, l’épée dans sa main est le symbole d’une puissante énergie. Et cette posture évoque inévitablement la descente de la Grâce dans l'assemblée.

Symbole de sa puissance, cette verticale symbolisée par le VM debout, l’épée dans sa main gauche[3]  dressée vers le Ciel, le maillet serré dans la main droite[4] : c’est la manifestation de l’éclair, le feu du ciel descendant sur la terre. C’est à cet instant que nous pouvons y voir la manifestation de l’intelligence divine. L'épée flamboyante est un transmetteur ! Transmission de la Lumière, transmission de la Connaissance, transmission de la Vérité, transmission de l’Energie. Associée au coup de maillet, elle est l’expression de la volonté de création. Elle est la représentation de la puissance de la volonté c’est à dire de la puissance d’exister[5]. Puissance venant d’un «ailleurs » pour s’exercer dans ce monde.

En résumé, l’épée flamboyante confère au VM trois de ses attributions, elle témoigne du pouvoir :

1. De création : ce pouvoir ne peut se manifester sans une volonté.

2. D’autorité : le V M tient son autorité, tel un roi du Moyen âge, directement des mains de Dieu.

3. D’intelligence divine : le V M lorsqu’il est en loge, est le vecteur de cette intelligence, et c’est au nom de cette intelligence qu’il est habilité à diriger nos travaux.


La richesse du symbolisme de l’épée flamboyante ne s’arrête pas là. L’épée possède deux tranchants. De même, l’épée flamboyante contient deux pouvoirs : elle construit mais peut aussi détruire. Cheminant entre symbolisme positif et négatif, l’épée flamboyante réuni les contraires. Comme cette épée, la vie est union des contraires et c’est bien de la rencontre des oppositions (masculin/ féminin) qu’elle jaillit. La création découle de l’union. La vie nait de ce qui la réunie. Elle meurt de ce qui la divise. Elle est union du souffle sur la glaise. Elle meurt de l’envol du souffle hors de la glaise. De même et à l’infini, l’épée crée ou sépare. Tour à tour, symbole de mort ou de naissance, animée par la seule volonté divine.

Dressée vers les cieux, signe de victoire, l’épée flamboyante montre la voie par laquelle le verbe descend jusqu’à nous. Semblable à l’Axe du monde, le VM symbolise le vecteur qui relie le Ciel à la Terre. L’éclair qui traverse cet axe lui confère le pouvoir du verbe.
Et c’est à cet instant que le V M ouvre les travaux au nom des « pouvoirs qui lui sont conférés ». C’est par cette rituélie que l’épée flamboyante est liée au pouvoir de la parole. Nous voilà donc maintenant arrivés au sens christique de cette épée que l’on trouve dans un verset de l’Apocalypse. « Il avait dans sa main droite sept étoiles et de sa bouche sortait une épée à deux tranchants bien effilée ». Ap. I, 16 . Dans l’iconographie chrétienne, il est possible de voir le Christ représenté avec une épée flamboyante à la place de la langue. Et Mathieu rapporte cette parole du Christ « Je ne suis pas venu apporter la Paix mais l’épée » (Mat. X, 34). Ces deux versets bibliques confirment ainsi le caractère axial et sacré de cette arme mais aussi le caractère guerrier de son action.


L’épée flamboyante, symbole de création contient aussi le principe de déconstruction du monde. Symbole de ce qui est militaire et guerrier, l’épée qui est une autre forme de la Croix, symbolise la justice et l’idéal défendu. Mais pour l’initié, derrière cette image[6], il y a la volonté de conquérir la Connaissance. Mais de quelle manière ?
L’image de cette arme entre les mains du VM , contient l’idée de guerre sainte car on n’aurait garde d’oublier que « Tout ce qui sert à la guerre extérieure peut être pris comme symbole de la guerre intérieure »[7].
C’est cette dimension qui sépare le temporel du spirituel.
C’est la perversion du sens de cette guerre qui organise la scission entre action politique et action mystique. Peut-on trouver symbole plus actuel, tant au plan temporel c'est-à-dire politique que spirituel ? Peut-on mieux résumer la recherche aveugle de notre époque occidentale moderne ? Peut-on comprendre les liens entre exotérisme et ésotérisme sans replonger dans la symbolique de l’épée flamboyante ?


Il est d’autres cieux que ceux de l’Occident où l’on retrouve la même symbolique : aux Indes, une épée de bois est utilisée dans l’accomplissement du sacrifice védique en tant qu’image de la foudre. C’est cette assimilation entre éclair et épée qui se retrouve dans « l’épée flamboyante ». En Islam, le prédicateur [8] officie une épée de bois à la main. Lorsque l’on comprend que tout passe par le « verbe », on perçoit rapidement l’allusion au pouvoir de la parole. Par sa capacité à la fois destructrice et créatrice, la parole est identifiée à la foudre en tant que manifestation divine.[9]

J’en arrive maintenant à la tradition kabbalistique, celle qui véhicule les secrets de la création. Elle parle d’un mouvement en zigzag entre KETHER-MALKHUTH dans l’arbre séfirotique. Cette circulation se nomme « épée flamboyante » et il est dit qu’elle permet à l’énergie de descendre dans la chair. Cette impulsion est celle du macrocosme – de l’univers autour de nous. Un second mouvement est associé au travail de la rédemption, de la transformation et du soin de l’esprit humain. Et ce second mouvement est celui du microcosme – la circulation énergétique de l’univers en nous. La descente des énergies décrite dans l’Épée Flamboyante kabbalistique est équilibrée par un courant d’énergie remontant de Malkhuth à Kether. Dans l’imagerie traditionnelle de la Kabbale, ce courant suit un sentier sinueux complexe et il est symbolisé par l’image du Sentier du Serpent.

Le Sentier du Serpent représente l’ouverture des sentiers entre les Sephirot dans la conscience. Il représente l’ouverture de ces Sentiers dans un ordre équilibré, s’élevant de la base de l’Arbre vers la Couronne et ouvrant les niveaux les plus élevés de la conscience. Il y a ici une similitude que vous percevez sans doute avec ce que les indous appellent « Kundalini »[10].
 Le Sentier du Serpent comme l’arbre de la kabbale sont liés aux principes de la polarité. Tout d’abord, le mouvement d’un côté à l’autre de l’Arbre et ensuite en sens inverse fait écho à la route en zigzag de l’Épée Flamboyante. Chacun des sentiers entre les Sephirot est lui-même un lien dans la polarité ; il s’agit d’une force d’équilibre créé par le conflit entre deux Sephirot en interaction. Chaque courbe du Serpent représente donc une polarité équilibrée. En termes de microcosme humain, le Sentier représente la jonction de deux aspects de la conscience dans une totalité plus élevée. Cette référence à l’axe que l’on trouve aussi dans le concept de « L’invariable milieu » dans le Tao, figure l’harmonisation des opposés, l’équilibre, la stabilité. Cet axe nous donne la clé du sens profond de l’épée qui n’apparaît plus seulement comme un moyen mais aussi comme une finalité. C’est le moyen pour Dieu de nous joindre mais c’est aussi une occasion pour l’Homme de trouver son dieu car cet axe nous donne le sens de la vie. Non seulement il est l’axe que Dieu emprunte pour nous toucher mais il est aussi le chemin qui est nous est offert pour remonter jusqu’à Lui.

C’est donc à la fois l’Aboutissement et l’Origine qu’il nous faut retrouver[11].

En d’autres termes et si l’on revient au symbolisme maçonnique de l’épée flamboyante : en levant l’épée vers le ciel, le VM se fait vecteur de la descente de la grâce, il transmet harmonie, équilibre et amour par l’énergie créatrice. Il est l’image de la guerre contre les puissances du chaos.

Et si l’éclair de l’épée flamboyante arrive jusqu’à nous, encore faudra-t-il trouver l’énergie de remonter cet éclair. Cette remontée, c’est Jung qui en parle le mieux. C’est donc lui qui conclura : « le numineux est en soi… Je devais sauver ma petite flamme à travers nuit et tempête… l’unique et grand trésor que je possède, c’est ma conscience ». Lorsqu’il utilise ce terme de « conscience », Jung n’y inclus nulle connotation moralisante. Il s’agit de collaborer au plan divin. C’est «Le service que l’homme peut rendre à Dieu afin que la lumière naisse des ténèbres, afin que le créateur prenne conscience de Sa création et que l’homme prenne conscience de lui-même [12] ». Il pense sans doute à cette « expérience intérieure » qui nous guide au milieu du chaos aussi précisément que le phare d’Alexandrie éclairait les navires de l’Antiquité. Il pense sûrement à ces deux personnalités qui cohabitent en lui, et il pense peut être à la première épître de Paul aux Corinthiens (15,47) :


Le premier homme, venu de la Terre, est terrestre

Le deuxième homme, venu du Ciel, est céleste.


L’épée flamboyante, symbole de pouvoir, d’autorité et d’intelligence divine permet de faire des liens entre inconscient collectif et inconscient personnel. Même si ces liens font déboucher sur d’autres impasses, ils autorisent sinon de trouver les clés, du moins de mettre de l’ordre dans quelques pièces d’un puzzle qui s’ouvre le jour de notre naissance et ne se ferme peut être pas le jour de notre mort.


Si tu veux arriver jusqu’au Ciel il faudra te laisser toucher par la Grâce puis ensuite accepter de remonter lentement en passant par tous les méandres du plan divin. Jung explique que : « Ce qu’on appelle la vie est un court épisode entre deux grands mystères qui n’en font en réalité qu’un. Les morts ont la durée, et nous, nous ne faisons que passer … La mort est une naissance[13] ».




[1] symbole de volonté
[2] autrement dit "l'axis mundi », ou arbre de vie.
[3] symbole du cœur et de la capacité de créer.
[4] main de l'autorité et de la volonté.
[5] Voir les travaux d’Alfred Adler.

[6] Le mot est employé au sens jungien « d’imago dei »
[7] René Guénon, in « le symbolisme de la croix ».
[8]  nommé "Khatib".
[9] Nous ne nous étendrons pas ici sur l’utilisation maléficiée que des chefs de gouvernements ont pu en faire lors de la seconde guerre mondiale.
[10] René Schwaller de Lubicz in, « l’Homme rouge »
[11] L’alpha et l’Oméga de Teilhard de Chardin.
[12] C.G.Jung, in Correspondance.
[13] C.G.Jung, in Ma Vie, souvenirs, rêves et pensées, p.384.






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