« Si
tu veux arriver où tu ne sais pas, il te faut passer par où tu ne sais
pas »
Jean
de la Croix
« Regarde le soleil, l’ombre sera derrière toi ».Proverbe maori
La symbolique est un des rares accès
possibles à l’inconscient. La symbolique est un langage inconscient que le
conscient accepte de « laisser
passer». Ce langage fonctionne parce qu’il rassure : aussi irrationnel
soit-il, c’est un vecteur qui relie l'inconscient au mental. Contrairement
aux rêves et à d’autres vecteurs, il est une passerelle avec l’inconscient qui
n’oblige pas l’intellect à se déconnecter.
L'occidental croit presque jusqu’à la
déraison que sa raison est sa seule richesse parce qu'il sent qu’il lui serait
facile de glisser dans l’inconscience, l’irraisonné, ou l’irrationnel. Je pense
ici à l’expérience malheureuse que Nietzsche traversa à la fin de sa
vie. Dans la recherche de son dieu intérieur, l’être humain n’a qu’un
allié : sa conscience. Comme le rappelle certains textes anciens : « C’est par sa conscience que
l’homme est relié au divin ».Trouver
les outils adaptés à la connexion au Soi fait partie de la préparation minimale
du Moi avant de partir faire ce long voyage qui l’entrainera dans les ténèbres
de l’inconscient. Il peut "l’essentialiser" sans la
déconnecter de sa nature car c’est la matérialisation de l’esprit qui
permet au transcendant de se manifester.
De même la Matière visitée par l’Esprit ne
doit pas renoncer à sa substance. Il s’agit bien d’un devoir et non d’un
pouvoir. Devoir qui, s’il est transgressé, ne conduit pas à l’harmonie mais
bien à son contraire : au chaos et à la folie. Je m’oblige à cette longue
digression pour dire que si j’aspire à sortir d’une réflexion matérialiste qui
m’a jadis amené jusqu’à l’athéisme, jamais je n’ai souhaité me
départir de l’esprit d’expérimentation scientifique. C’est dans cet esprit que
j’ai souhaité approcher le symbolisme de l’épée flamboyante.
On peut le résumer ainsi : L’Esprit descendu dans la Matière doit la
spiritualiser sans la priver de sa substance.
Remarquons tout d’abord que cette épée est
le symbole du pouvoir spirituel et cette épée à la lame ondulante est dite
"flamboyante" en référence à l'épée à lame de feu, attribut du
chérubin qui protège l'entrée du Paradis. Le Maître de loge l’utilise lors des
initiations, passages ou élévations. Dans ce cas le pouvoir de l’épée pour «
créer un initié» est accompagné du maillet[1]. Cela peut se lire ainsi :
le pouvoir de créer ne peut se manifester sans la volonté de créer. En
d’autres termes la volonté ne peut se manifester que si elle en obtient le
pouvoir et vice versa. Lors de chaque tenue, avant d’ouvrir les travaux, il la
tient verticalement dans sa main gauche matérialisant ainsi l’axe de la terre
vers le ciel[2].
Comme un éclair entre le Ciel et la Terre, l’épée dans sa main est le symbole d’une
puissante énergie. Et cette posture évoque inévitablement la descente de la
Grâce dans l'assemblée.
Symbole de sa puissance, cette verticale
symbolisée par le VM debout, l’épée dans sa main gauche[3] dressée vers le Ciel, le maillet serré dans la main droite[4] : c’est la
manifestation de l’éclair, le feu du ciel descendant sur la terre. C’est à cet
instant que nous pouvons y voir la manifestation de l’intelligence divine.
L'épée flamboyante est un transmetteur ! Transmission de la Lumière,
transmission de la Connaissance, transmission de la Vérité, transmission de
l’Energie. Associée au coup de maillet, elle est l’expression de la volonté de
création. Elle est la représentation de la puissance de la volonté c’est à dire
de la puissance d’exister[5]. Puissance venant d’un «ailleurs
» pour s’exercer dans ce monde.
En résumé, l’épée flamboyante confère au VM
trois de ses attributions, elle témoigne du pouvoir :
1. De création : ce pouvoir ne peut se
manifester sans une volonté.
2. D’autorité : le V M tient son autorité,
tel un roi du Moyen âge, directement des mains de Dieu.
3. D’intelligence divine : le V M
lorsqu’il est en loge, est le vecteur de cette intelligence, et c’est au nom de
cette intelligence qu’il est habilité à diriger nos travaux.
La richesse du symbolisme de l’épée
flamboyante ne s’arrête pas là. L’épée possède deux tranchants. De même, l’épée
flamboyante contient deux pouvoirs : elle construit mais peut aussi détruire.
Cheminant entre symbolisme positif et négatif, l’épée flamboyante réuni les
contraires. Comme cette épée, la vie est union des contraires et c’est bien de
la rencontre des oppositions (masculin/ féminin) qu’elle jaillit. La création
découle de l’union. La vie nait de ce qui la réunie. Elle meurt de ce qui la
divise. Elle est union du souffle sur la glaise. Elle meurt de l’envol du
souffle hors de la glaise. De même et à l’infini, l’épée crée ou sépare. Tour à
tour, symbole de mort ou de naissance, animée par la seule volonté divine.
Dressée vers les cieux, signe de victoire,
l’épée flamboyante montre la voie par laquelle le verbe descend jusqu’à nous. Semblable
à l’Axe du monde, le VM symbolise le vecteur qui relie le Ciel à la Terre.
L’éclair qui traverse cet axe lui confère le pouvoir du verbe.
Et c’est à cet instant que le V M ouvre
les travaux au nom des « pouvoirs qui lui
sont conférés ». C’est par cette rituélie que l’épée flamboyante est liée
au pouvoir de la parole. Nous voilà donc maintenant arrivés au sens christique
de cette épée que l’on trouve dans un verset de l’Apocalypse. « Il avait dans sa main droite sept étoiles
et de sa bouche sortait une épée à deux tranchants bien effilée ». Ap. I,
16 . Dans l’iconographie chrétienne, il est possible de voir le Christ
représenté avec une épée flamboyante à la place de la langue. Et Mathieu rapporte
cette parole du Christ « Je ne suis pas
venu apporter la Paix mais l’épée » (Mat. X, 34). Ces deux versets
bibliques confirment ainsi le caractère axial et sacré de cette arme mais aussi
le caractère guerrier de son action.
L’épée flamboyante, symbole de création
contient aussi le principe de déconstruction du monde. Symbole de ce qui est
militaire et guerrier, l’épée qui est une autre forme de la Croix, symbolise la
justice et l’idéal défendu. Mais pour l’initié, derrière cette image[6], il y a la volonté de
conquérir la Connaissance. Mais de quelle manière ?
L’image de cette arme entre les mains du VM
, contient l’idée de guerre sainte
car on n’aurait garde d’oublier que «
Tout ce qui sert à la guerre extérieure peut être pris comme symbole de la guerre
intérieure »[7].
C’est cette dimension qui sépare le
temporel du spirituel.
C’est la perversion du sens de cette
guerre qui organise la scission entre action politique et action mystique. Peut-on
trouver symbole plus actuel, tant au plan temporel c'est-à-dire politique que spirituel ? Peut-on mieux
résumer la recherche aveugle de notre époque occidentale moderne ? Peut-on
comprendre les liens entre exotérisme et ésotérisme sans replonger dans la
symbolique de l’épée flamboyante ?
Il est d’autres cieux que ceux de
l’Occident où l’on retrouve la même symbolique : aux Indes, une épée de bois
est utilisée dans l’accomplissement du sacrifice védique en tant qu’image de la
foudre. C’est cette assimilation entre éclair et épée qui se retrouve dans «
l’épée flamboyante ». En Islam, le prédicateur [8] officie une épée de bois à
la main. Lorsque l’on comprend que tout passe par le « verbe », on
perçoit rapidement l’allusion au pouvoir de la parole. Par sa capacité à la
fois destructrice et créatrice, la parole est identifiée à la foudre en tant
que manifestation divine.[9]
J’en arrive maintenant à la tradition
kabbalistique, celle qui véhicule les secrets de la création. Elle
parle d’un mouvement en zigzag entre KETHER-MALKHUTH dans l’arbre
séfirotique. Cette circulation se nomme «
épée flamboyante » et il est dit qu’elle permet à l’énergie de descendre
dans la chair. Cette impulsion est celle du macrocosme – de l’univers autour de
nous. Un second mouvement est associé au travail de la rédemption,
de la transformation et du soin de l’esprit humain. Et ce second mouvement est
celui du microcosme – la circulation énergétique de l’univers en nous.
La descente des énergies décrite dans l’Épée Flamboyante kabbalistique est
équilibrée par un courant d’énergie remontant de Malkhuth à Kether. Dans
l’imagerie traditionnelle de la Kabbale, ce courant suit un sentier sinueux
complexe et il est symbolisé par l’image du Sentier du Serpent.
Le Sentier du Serpent représente
l’ouverture des sentiers entre les Sephirot dans la conscience. Il représente
l’ouverture de ces Sentiers dans un ordre équilibré, s’élevant de la base de
l’Arbre vers la Couronne et ouvrant les niveaux les plus élevés de la
conscience. Il y a ici une similitude que vous percevez sans doute avec ce que
les indous appellent « Kundalini »[10].
Le Sentier du Serpent comme l’arbre de la
kabbale sont liés aux principes de la polarité. Tout d’abord, le mouvement d’un
côté à l’autre de l’Arbre et ensuite en sens inverse fait écho à la route en
zigzag de l’Épée Flamboyante. Chacun des sentiers entre les Sephirot est
lui-même un lien dans la polarité ; il s’agit d’une force d’équilibre créé par
le conflit entre deux Sephirot en interaction. Chaque courbe du Serpent
représente donc une polarité équilibrée. En termes de microcosme humain, le
Sentier représente la jonction de deux aspects de la conscience dans une
totalité plus élevée. Cette référence à l’axe que l’on trouve aussi dans le
concept de « L’invariable milieu » dans le Tao, figure l’harmonisation des
opposés, l’équilibre, la stabilité. Cet axe nous donne la clé du sens profond
de l’épée qui n’apparaît plus seulement comme un moyen mais aussi comme une
finalité. C’est le moyen pour Dieu de nous joindre mais c’est aussi une
occasion pour l’Homme de trouver son dieu car cet axe nous donne le sens de la
vie. Non seulement il est l’axe que Dieu emprunte pour nous toucher mais il est
aussi le chemin qui est nous est offert pour remonter jusqu’à Lui.
C’est donc à la fois l’Aboutissement et
l’Origine qu’il nous faut retrouver[11].
En d’autres termes et si l’on revient au
symbolisme maçonnique de l’épée flamboyante : en levant l’épée vers le ciel, le
VM se fait vecteur de la descente de la grâce, il transmet harmonie, équilibre
et amour par l’énergie créatrice. Il est l’image de la guerre contre les
puissances du chaos.
Et si l’éclair de l’épée flamboyante
arrive jusqu’à nous, encore faudra-t-il trouver l’énergie de remonter cet
éclair. Cette remontée, c’est Jung qui en parle le mieux. C’est donc lui qui conclura
: « le numineux est en soi… Je devais
sauver ma petite flamme à travers nuit et tempête… l’unique et grand trésor que
je possède, c’est ma conscience ». Lorsqu’il utilise ce terme de « conscience », Jung n’y inclus nulle
connotation moralisante. Il s’agit de collaborer au plan divin. C’est «Le service que l’homme peut rendre à Dieu
afin que la lumière naisse des ténèbres, afin que le créateur prenne conscience
de Sa création et que l’homme prenne conscience de lui-même [12] ».
Il pense sans doute à cette « expérience intérieure » qui nous guide au milieu
du chaos aussi précisément que le phare d’Alexandrie éclairait les navires de
l’Antiquité. Il pense sûrement à ces deux personnalités qui
cohabitent en lui, et il pense peut être à la première épître de Paul aux
Corinthiens (15,47) :
Le
premier homme, venu de la Terre, est terrestre
Le
deuxième homme, venu du Ciel, est céleste.
L’épée flamboyante, symbole de pouvoir,
d’autorité et d’intelligence divine permet de faire des liens entre inconscient
collectif et inconscient personnel. Même si ces liens font déboucher sur
d’autres impasses, ils autorisent sinon de trouver les clés, du moins de
mettre de l’ordre dans quelques pièces d’un puzzle qui s’ouvre le jour de notre
naissance et ne se ferme peut être pas le jour de notre mort.
Si tu veux arriver jusqu’au Ciel il faudra
te laisser toucher par la Grâce puis ensuite accepter de remonter lentement en
passant par tous les méandres du plan divin. Jung explique que : « Ce qu’on appelle la vie est un
court épisode entre deux grands mystères qui n’en font en réalité qu’un. Les
morts ont la durée, et nous, nous ne faisons que passer … La mort est une
naissance[13] ».
[1] symbole de volonté
[2] autrement dit "l'axis mundi », ou arbre
de vie.
[3] symbole du cœur et de la capacité de créer.
[4] main de l'autorité et de la volonté.
[7] René Guénon, in « le symbolisme de la croix ».
[8] nommé
"Khatib".
[9] Nous ne nous étendrons pas ici sur l’utilisation
maléficiée que des chefs de gouvernements ont pu en faire lors de la seconde
guerre mondiale.
[10] René Schwaller de Lubicz in, « l’Homme rouge »
[11] L’alpha et l’Oméga de Teilhard de Chardin.
[12] C.G.Jung, in Correspondance.
[13] C.G.Jung, in Ma Vie, souvenirs, rêves et pensées,
p.384.
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